Photo: Désirée Cyganek
Djaka Souaré est actrice, réalisatrice, productrice. Elle vient de réaliser son premier court-métrage, sélectionné dans plusieurs festivals de cinéma à New York! Dans Jazz in Wakanda, Djaka parle d'identité, de racines, d'ouverture et de force féminine, autant de sujets qui sont chers à cette 'citoyenne du monde' comme elle se définit elle-même... Rencontre passionnante avec une femme libre, belle, forte et engagée - et qui veut changer le monde!
Je m'appelle Djaka, je suis comédienne, productrice et récemment réalisatrice. Je suis aussi chanteuse de jazz, j'ai été danseuse, je suis une femme de couleur, et je suis par-dessus tout citoyenne du monde! Je suis née à Paris et y ai grandi, puis ai habité à Hong Kong avant d'arriver à New-York. Depuis janvier je vis à Los Angeles, ce qui me permet d'allier ma créativité au côté business de l'industrie dans laquelle j'évolue. En fait, en ce moment je suis constamment entre New York et et Los Angeles, alors je vis un peu dans une valise..!
Qu'est-ce qui t'as poussé à vouloir devenir actrice?
Mon père était acteur, je pense que ça a dû y faire quelque chose! Et si ça peut faire hyper cliché de te dire que je pense que je suis née actrice, ça résonne très vrai et très profondément en moi. Sûrement parce que, pour moi, il n'y a pas d'art sans activisme, et c'est pour ça que je voulais devenir actrice: pour changer le monde! Les comédiens et les acteurs sont parfois mis dans la case des 'gens riches et célèbres', mais il ne faut pas oublier qu'à la base, dans la société, ce sont les orateurs grecs qui apportaient la parole et qui contribuaient à la vie politique... ils étaient un reflet de la société (c'est souvent d'ailleurs les premiers à qui on coupe la tête dans l'Histoire!). Donc c'est une place très importante et qui vient avec plein de responsabilités (encore plus de nos jours avec les réseaux sociaux!): à travers un écran, à travers la représentation de moments de vie, d'émotions, tu peux vraiment toucher un million de gens!
Ton premier court-métrage vient de sortir, et a été sélectionné au Harlem Film Festival et au NY African Film Festival 2019! Raconte-nous!
J'ai écrit 'Jazz in Wakanda' en juillet dernier. Si on compte devant et derrière la camera, mon équipe était composée à 75% de femmes... Le film parle d'identité, je l'ai écrit après un moment compliqué de vie dans le travail, j'ai décidé que j'étais enfin prête à m'exprimer à fond. J'ai aussi trouvé ma voix, portée par tout ce qui se passe dans le monde, les politiciens et leur utilisation honteuse du populisme ces dernières années. A New York on avait voté à 99% contre Trump, on a été vraiment très affecté, il régnait un silence dans la ville les jours d'après. Même s'il ne faut pas oublier qu'il n'a pas gagné le vote populaire, ce n'est pas le même système de vote ici. Et puis j'ai toujours voulu écrire sur le phénomène de vouloir mettre les gens dans des cases. Exemple: quand je passais des castings en France, j'étais soit 'pas assez black' pour certains rôles, ou bien 'pas assez blanche' pour d'autres. On me proposait la flic, la mannequin, la prostituée..! Du coup, alors que j'etais signée chez deux des plus grosses agences françaises, d'abord chez Cinéart puis chez Artmedia, j'ai décidé de quitter la France, avec qui j'ai une relation un peu compliquée 'amour / haine': j'avais l'impression de moins "exister", je n'avais pas de représentation (on en revient à la représentation à l'écran, qui a tellement d'importance!). Je n'avais aucun 'role model'... du coup j'ai choisi Whitney Houston - c'était un peu la seule à qui je pouvais m'identifier ! J'étais obnubilée par elle... Je l'ai d'ailleurs rencontrée quand j'avais 5 ans! Elle occupe vraiment une grande place dans mon coeur... mon plus grand fantasme est de l'incarner un jour au cinéma!
Et ta casquette de productrice est venue comment?
À New York, j'ai eu une incroyable opportunité de produire des films et documentaires pour une grosse compagnie: j'y suis restée 3 ans et ça m'a vraiment formée en tant que productrice. Mais j'avais aussi envie de produire des films qui me parlaient à moi, alors à un moment il a fallu 'take a leap of faith' comme on dit. J'ai quitté cette compagnie en janvier dernier et me suis lancée en tant que productrice indépendante, pour évidemment aussi développer mes propres projets en tant qu'actrice et réalisatrice. C'était juste en plein mouvement #MeToo, avec des voix des femmes qui s'émancipaient enfin, ca m'a galvanisée, c'est un sujet qui bien sûr m'anime depuis toujours.
Et cela a joué un rôle important dans ton parcours?
Oui car je me suis impliquée immédiatement, dès que ça a commencé à bouger en fait, notamment grâce au mouvement Time's Up. Il faut savoir que j'ai commencé au théâtre à 6 ans, et à passer des castings ado, je suis dans cette industrie depuis que j'ai 16 ans... Je pense connaître un peu ce milieu, et j'ai une tonne d'anecdotes révoltantes. Sans compter celles des copines comédiennes. A New York je fais partie de l'association NYWIFT (New York Women in Film & Television), qui se bat pour que les femmes aient une voix dans l'industrie du cinéma. J'ai organisé plusieurs événements pour elles, au festival de Sundance et au festival de TriBeCa. Le nombre de femmes réalisatrices et productrices présentes dans les festivals ou qui réussissent à faire des films est une honte, tout ça sont des sujets qu'on peut enfin commencer à aborder, sans passer pour l'emmerdeuse de service ou l'ambitieuse bulldozer... Moi j'ai toujours su exactement ce que je voulais, et surtout ce que je ne voulais pas, je pense avoir une grande force de caractère par rapport à tout cela, même si ça affecte toujours énormément.
D'où te vient cette force de caractère?
J'ai été élevée par ma mère, il n'y avait que nous deux alors il fallait se serrer les coudes. Ma mère est d'une petite ville en Bourgogne, elle était puéricultice a Lyon quand elle a rencontré mon père (dont je raconte un peu l'histoire dans mon court métrage), qui lui avait fui la Guinée-Conakry, une dictature dont il a tenté de s'échapper 3 fois. Après avoir été jeté en prison plusieurs fois, il a réussi à arriver à Dakar puis Marseille... sans chaussures... et puis il a rencontré ma mère a Lyon dans un club de Jazz. A deux, ils sont montés a Paris, il n'y avait pas beaucoup de couples mixtes a l'époque. Je suis le mix de ces deux personnages, tous les deux très forts: le nom de famille de ma mère c'est 'Chevalier', a priori descendants des Chevaliers de la Table ronde; et du côté de mon père, on est les descendants d'une des 7 tribus royales de l'empire du Mali du roi Keita (c'est d'ailleurs l'histoire du Roi Lion!), la tribu des Mandingues. Donc deux personnes très fortes de leur passé.
Quel rôle a joué la 'force féminine' dans ta vie, dans ton parcours?
Ma mère a été une présence hyper importante dans ma vie: mes parents se sont séparés quand j'avais 6 ans, et mon père est parti poursuivre sa carrière d'acteur à Los Angeles. J'ai grandi dans un milieu middle class français, avec des hauts et des bas, mais avec une entente féminine hyper forte. Ma mère m'a toujours dit 'je te fais confiance à 100%, ne trahis pas cette confiance'! Elle était toujours derrière moi pour les devoirs (j'adorais l'école!), elle m'a appris à lire très jeune, j'ai eu très tôt une vraie culture littéraire et philosophique, et à 10 ans j'étais trilingue français - anglais - espagnol. Donc j'ai grandi avec beaucoup de culture autour de moi, même quand mes parents étaient encore ensemble: un de mes premiers souvenirs c'est Miles Davis à la télé, et puis la musique africaine, les rythmes Afro-Cubains,le jazz... et beaucoup de films de la MGM des années 30 à 60, comme Casablanca, Mogambo,... et puis Rita Hayworth, Clark Gable, Ava Gardner, Humphrey Bogart... j'ai grandi avec ce Hollywood de "l'ancien temps"! Je suis d'ailleurs une âme ancienne et nostalgique... et je ne suis pas très branchée réseaux sociaux (à part pour le travail), j'aime le vrai contact, les voyages, les vraies rencontres!
Ici on parle de cheveux: tu as quelle relation avec eux?
Petite, je voulais avoir les cheveux raides! Ça m'a pris un moment pour réaliser que c'était le critère beauté sociétal des films, des magazines qui faisait que tu étais "sexy". A part dans les magazines Africains, moi, je ne me voyais nulle part. Maintenant que ça a commencé à bouger, ça se mélange plus! Et je suis abonnée à des magazines où je vois des femmes qui me ressemblent! Je me souviens de ma mère qui me tirait les cheveux pour les démêler, mais ça me faisait mal! Ou qui avait vu mon père avec le peigne africain! Mais aujourd'hui je lui dirais 'non il ne faut pas les toucher ou à peine, il faut mettre des produits naturels et c'est tout!'. Mon anecdote personnelle hyper traumatisante: à 7 ans, je partais en Espagne tous les ans dans la famille de ma meilleure copine espagnole, et une année sa mère a décidé de me faire couper les pointes: mais la coiffeuse blanche espagnole ne savait pas ce qu'elle faisait! Elle a finit par me couper tout court, et je suis rentrée avec une tête de petit garçon..! C'était horrible... quand tu touches aux cheveux tu touches à l'identité, à qui tu es, c'est hyper intime...
Comment tu as appris à aimer tes cheveux? A quel moment c'est arrivé?
Quand j'avais 18 ans, je les lavais et je les mettais dans deux grosses tresses que je laissais la nuit, et comme ça au réveil ils avaient perdu leurvolume - c'etait comme si j'essayais de les lisser par tous les moyens!... Et mes copines me disaient "mais pourquoi? c'est trop beau! Tu as une force incroyable avec!" Mon entourage le voyait, mais pas moi, je n'y arrivais pas... Sûrement par manque de modèle. Et puis la vraie liberté je l'ai trouvée aux Etats-Unis, à 17 ans; j'ai vécu dans une famille afro américaine, et ils m'ont emmenée dans des endroits spécialisés avec des produits faits pour mes cheveux, et ça a été une révélation! En rentrant à Paris je suis allée à Barbès, je n'ai pas trouvé exactement les mêmes... c'était différent, plus "Antilles" et "Afrique", moins "Afro Americain"! Ensuite, quand j'habitais à Hong Kong, je me faisais envoyer des produits de France par ma mère, ça lui coûtait une fortune! Et dernière chose: trouver LE bon coiffeur c'est essentiel... Ici aux Etats-Unis j'ai trouvé de super coiffeurs qui comprennent et aiment mes cheveux.
Les 3 questions qu'on pose à toutes nos Shaeri girls:
Quel est ton #hairtop?
Quand j'ai enfin trouvé et acheté (pour la première fois de ma vie!) un sèche-cheveux: le sèche-cheveux idéal, avec un super diffuseur, que j'ai trouvé aux US chez Deva Curls! Il me fait les cheveux de Beyoncé, avec un volume incroyable... et c'est bête mais j'ai l'impression d'être une femme parce que j'ai enfin un sèche cheveux ;)) Je voyais ma maman avec un sèche-cheveux, mais moi je n'y avais jamais accès car normalement ça tue les boucles - mas pas celui-là! ;)
Et ton #hairflop ?
Et as-tu un #hairtips ?
J'utilise de l'huile de coco vierge tous les jours pour hydrater et nourrir mes cheveux, c'est vraiment top. Et aussi de temps en temps je ne les lave pas pendant genre 5 jours: c'est hyper rare mais ils adorent!
Enfin, dernière question: quelle est ton actualité?
Je vient de tourner Nairobi, un court métrage écrit et dirigé par Philip Youmans (un tout jeune réalisateur de 19 ans qui vient de remporter le grand prix du Tribeca Film Festival 2019 pour son long-métrage "Burning Cane"), produit par Solange Knowles et son agence de production - elle est fan de ce jeune et talentueux réal! Nairobi parle des communautés musulmanes et ouest africaines de Harlem et Uptown - et j'y tiens le premier rôle, je suis super fière...